miércoles, 12 de marzo de 2014

UN FILM QUI VA NOUS PLAIRE: "SE BATTRE"

«Se battre», un film qui rend hommage à ceux qui luttent pour survivre

 

Nous sommes submergés d’informations à propos de toutes ces révoltes qui constellent la France. Pas un jour sans une nouvelle corporation qui se plaint, qui proteste et qui se bat. Dans la rue. Qui bloque, un temps, l’activité économique du pays.

Au même moment, l’hiver s’installant, les média nous offrent le marronnier traditionnel : l’UNICEF publie un rapport (1) pour dire que le nombre des enfants pauvres augmente (comme si c’était beaucoup plus grave que l’augmentation du nombre total des pauvres dont ils font partie). Les Restos du Cœur ouvrent leurs portes, les Banques alimentaires collectent des aliments aux sorties des supermarchés : tout le monde s’accorde pour dire que, cet hiver, il faudra distribuer davantage de repas. Des familles mal-logées ont campé durant tout le mois de novembre place de la République à Paris, dans l’indifférence presque générale (elles ont levé le camp après promesse du ministère du logement de reloger 300 familles).

L’Europe décide une subvention de 3,5 milliards pour l’aide alimentaire, mais France 3 Lorraine diffuse le 30 novembre une émission sur la pauvreté qui regroupe sur le plateau quatre représentants d’associations caritatives pour traiter du problème. Comme si les pouvoirs publics étaient totalement hors course, non concernés, alors qu’ils financent (pas suffisamment, compte tenu de l'ampleur du désastre), avec l’impôt des citoyens, non seulement cette aide alimentaire européenne, non seulement des budgets d’aide directe (dont CCAS, Aide sociale à l’enfance) mais aussi une partie des ressources des associations (par la déduction d’impôts sur les dons). 

Cette générosité des individus est bien sûr fort louable, elle est l’expression d’une forme de solidarité nécessaire, mais elle n’est tolérable que si s’exprime également la solidarité essentielle, c’est-à-dire celle qui relève de la collectivité. Sauf que la solidarité publique n’est pas photogénique, donc les média ne s’y intéressent pas, et les « libéraux » y voient une dépense supplémentaire, donc à proscrire. Lorsque le premier ministre décide de mettre en place une garantie jeunes (donc une mesure de politique sociale en faveur de jeunes démunis), il se plaint (France Inter du 20 novembre au micro de Patrick Cohen) d’entendre la droite lui rétorquer : « assistanat, assistanat » (une droite qui se garde bien pourtant de reprocher aux caritatifs leurs actions d’assistance).

Donc, les uns se battent pour défendre leurs intérêts, parfois à juste titre ; les autres ont droit à la compassion, à la charité, à la générosité, mais ne se battent pas, ne défilent pas avec calicots dans les rues, ne prennent pas la parole à la Bastille.

« Plus tu pleures, plus tu ramasses la misère »
Jean-Pierre Duret et Andrea Santana ont réalisé un film particulièrement émouvant qui est consacré à ces silencieux, à ces invisibles, à ces gens sans parole. Se battre est un documentaire tourné à Givors (dans le Rhône, entre Saint-Etienne et Lyon), ville ouvrière victime de la désindustrialisation. Pour qui la connaît, ville triste s’il en est. La caméra suit des personnes modestes, pauvres, très pauvres, dignes, très dignes. Parfois, on les voit seulement évoluer dans leur quotidien, parfois ils expriment ce qu’ils ressentent. Et les mots, les phrases qu’ils prononcent ne peuvent laisser insensibles. La projection terminée, on éprouve de la colère. Contre un système qui jette sur le pavé tant de gens qui se taisent, et aussi contre ceux qui déversent à longueur de journée, dans les média, des politiques ou des « experts », leur mépris à l’encontre de ces misères et de ces parias qui, pourtant, se battent pour survivre. Car ils se battent au quotidien, à leur manière, pas de façon tonitruante, pas un combat public, mais une bataille de tous les instants, cachée, isolée. Et l’on vient à se demander, alors que l’on bénéficie d’un certain confort, où trouvent-ils, eux, les ressources de leur combat ?
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 Se battre : le film débute par un combat de boxe : filmé comme dans une fiction, mais là c'est la réalité... 
Ce qu’ils nous disent « c’est la rage ». « Il faut y passer pour comprendre », dit une femme tout en récusant le mot « misère » : « la misère c’est quand on dort dehors ». Et ces gens-là, figurez-vous, ils ont un toit, et ils aiment leur cité, les odeurs, l’accueil chez les voisins, la solidarité. Mais sans emploi, sans ressources, ou si peu. Un jeune homme se souvient de son enfance : les fins de mois difficiles (même pas assez pour acheter une baguette), sa mère qui pleurait, ses parents qui se disputaient. Mais il ne faut pas pleurer, il faut aller de l’avant : « Plus tu pleures, plus tu ramasses la misère. Quand tu ne pleures pas, la misère ne vient pas ».

On assiste aux demandes gênées de colis au Secours Populaire, on mesure les exigences des Restos du Cœur qui, pour éviter toute accusation de laxisme, réclament de nombreux justificatifs. Et les poubelles d’aliments, derrière les supermarchés, sont discrètement fouillées.

Le film montre tout ce qui est fait par les associations caritatives pour aider des personnes qui se rendent à l’épicerie sociale avec 2,5 € en poche (toute leur fortune à cet instant) ou qui sont embauchées dans un jardin d'insertion.
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Les Jardins de Lucie, chantier d'insertion, à Communay (réseau Cocagne)
Des scènes très touchantes rendent compte de la souffrance sociale au-delà de tout discours, de toute démonstration : une femme se rend chaque jour auprès du Gier, la rivière qui traverse la ville, donner du pain aux canards, cygnes et ragondins, qui la connaissent et viennent au devant d’elle (elle récupère des croûtons où elle peut). Jadis, elle fréquentait une bibliothèque, mais désormais elle n’y voit plus très bien. Elle n’a pas les moyens d’acheter des lunettes adaptées et ne peut avouer comment elle se nourrit pour survivre : « je suis exclue de tout. Je n’ai plus de petits plaisirs, excepté venir là donner à manger à ces animaux ». Elle a accroché son sac rempli de pain sec à des petites branches d’un arbre. Pour le récupérer, elle va mettre beaucoup de temps, tellement elle veut protéger ces petites branches, ces petites feuilles. Cette scène, prise sur le vif, est totalement inattendue. Aucun scénario ne pourrait l'envisager : on retient son souffle, à regarder cette femme, toute remplie de respect, de délicatesse, pour ce qui l’environne : ces animaux sauvages, cet arbre. Elle qui a pensé se jeter dans cette rivière pour s’y fondre définitivement. Ne faire de mal à personne, juste disparaître.
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Elle donne du pain sec aux canards, cygnes et ragondins, mais par pudeur ne peut nous dire comment elle se nourit pour survivre
Les femmes, aux avant-postes de la résistance
Une ancienne directrice commerciale d’une maison d’édition, qui gagnait très bien sa vie, désormais survit avec rien : « à 60 ans, on nous met dans le caniveau. Je me lève pourquoi ? Pourtant ma vie n’est pas finie. Je me bats ».

Le documentaire met en valeur l’engagement des bénévoles du Secours Populaire, et il est évident qu’ils font preuve d’un dévouement admirable (consacrant souvent l’essentiel de leur temps libre à l’association). Lors d’une projection (festival de Ciné 32 à Auch), j’ai interrogé Jean-Pierre Duret, le réalisateur : qu’en est-il, à Givors, du rôle de la collectivité publique dans la lutte contre la pauvreté ? Il a répondu qu’il n’avait pas filmé les responsables politiques mais a reconnu que la municipalité (majorité PC-PS) faisait beaucoup pour la population défavorisée.

Jean-Pierre Duret n’imaginait pas découvrir en France une telle situation, lui qui avait, auparavant, traité de la pauvreté au Brésil où il a tourné plusieurs films sur le sujet avec Andrea Santana. Il a voulu donner la parole à ces pauvres non représentés, non entendus, et affirmer que nous partageons avec eux des aspirations communes, qu’ils n’ont plus la possibilité d’exprimer. « Ils ont un point de vue sur ce qui leur arrive. Et ils ont une énergie de vie extraordinaire ». Il a rendu un hommage appuyé aux femmes : « les femmes sont aux avant-postes de la résistance, au nom de leurs enfants ». Ces personnages sont beaux, ils se livrent avec pudeur mais aussi avec sincérité. « Ils sont beaux parce qu’aussi ils se savent regardés », a commenté,  les larmes aux yeux, le président du festival, cinéphile ô combien averti. Et il est vrai que tout l'art des cinéastes est de nous donner à voir la richesse de ces êtres dont la vie de galère est tellement niée par les débats publics. Ces "acteurs" nous livrent ce qu'ils sont réellement : pour cela, ce film mérite de trouver un large public.

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 Visite d'un bénévole du Secours Populaire auprès d'une famille réfugiée qui squatte un local sans confort

 [Les photos du film m'ont été aimablement communiquées par Jean-Pierre Duret et Andrea Santana. Le film n'est pas encore diffusé mais devrait l'être très prochainement]

Bande-annoce du film: http://www.sebattre.com/bande-annonce

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